Urbanisme et ressource en eau : le Conseil d’État valide le refus de permis de construire en cas de risque de pénurie (CE, 1er déc. 2025, n° 493556)

La raréfaction de la ressource en eau s’impose désormais comme un paramètre structurant de l’aménagement du territoire et de la délivrance des autorisations d’urbanisme. Par une décision du 1er décembre 2025, le Conseil d’État reconnaît qu’un risque de pénurie d’eau potable peut justifier un refus de permis de construire sur le fondement de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, au titre de l’atteinte à la salubrité publique. Cette solution intéresse directement les maires, EPCI et services urbanisme confrontés aux tensions hydriques récurrentes.

  1. Le cadre juridique : l’article R.111‑2 comme fondement de refus

L’article R.111‑2 du code de l’urbanisme permet à l’autorité compétente de refuser un projet ou de l’assortir de prescriptions spéciales lorsqu’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique en raison de sa situation, de ses caractéristiques ou de son importance. Historiquement mobilisé pour des risques naturels, technologiques ou sanitaires, ce texte sert désormais à appréhender l’insuffisance de la ressource en eau comme un risque pour la salubrité publique.

Dans l’arrêt Commune de Fayence, le Conseil d’État valide expressément l’analyse du juge du fond selon laquelle l’atteinte portée par une construction nouvelle, du fait de la consommation d’eau qu’elle implique, à la ressource en eau potable de la commune relève de la salubrité publique au sens de l’article R.111‑2. Le risque de pénurie d’eau devient ainsi un motif autonome de refus d’un permis de construire, même en zone constructible.

  1. Les faits : tension hydrique et refus d’un permis de construire

La commune de Fayence, située dans le Var, faisait face à une insuffisance préoccupante de ses ressources en eau, après plusieurs épisodes de sécheresse et l’assèchement de plusieurs forages. Une étude réalisée en juillet 2021 mettait en évidence l’incapacité à court terme de couvrir l’évolution des besoins en eau potable, tandis que l’été 2022 avait conduit à des restrictions de consommation et à des approvisionnements par camions-citernes.

Dans ce contexte, le maire a refusé, par un arrêté de février 2023, un permis de construire portant sur un immeuble de cinq logements, en se fondant sur l’article R.111‑2 du code de l’urbanisme. Le tribunal administratif de Toulon a confirmé ce refus en 2024, estimant que l’insuffisance de la ressource en eau caractérisait une atteinte à la salubrité publique, appréciation que le Conseil d’État juge exempte de dénaturation et insusceptible d’être remise en cause en cassation.

  1. La qualification du risque de pénurie d’eau comme atteinte à la salubrité publique

Le Conseil d’État juge que la consommation d’eau induite par une construction nouvelle, lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte d’insuffisance avérée de la ressource, est de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens de l’article R.111‑2. Cette appréciation repose sur des éléments techniques concrets : assèchement de forages, faiblesse des volumes disponibles, incapacité à satisfaire les besoins à brève échéance, restrictions d’usage et recours à des approvisionnements par camions-citernes.

La Haute juridiction consacre ainsi un lien direct entre la sécurité de l’approvisionnement en eau potable et la salubrité publique, sans exiger la démonstration d’un danger immédiat pour la santé des personnes. Le risque structurel d’insuffisance de la ressource, dûment établi, suffit à justifier un refus de permis de construire.

  1. Les enseignements pratiques pour les collectivités et services urbanisme

Cette décision appelle les collectivités à intégrer la contrainte hydrique dans l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme et, plus largement, dans leurs documents de planification (SCOT, PLU, PLUi). Plusieurs points pratiques peuvent être dégagés :

  • Nécessité de disposer de diagnostics actualisés des capacités de production et de distribution d’eau potable, permettant de démontrer objectivement l’insuffisance de la ressource.
  • Importance de tracer, dans les arrêtés de refus, les éléments techniques (études, rapports, données d’exploitation) justifiant le risque de pénurie et établissant le lien avec la salubrité publique.
  • Utilité de coordonner la politique d’urbanisme avec les plans de gestion de l’eau et les schémas d’infrastructures (plans d’adaptation à la sécheresse, programmes d’investissement sur les réseaux).

Pour un maire ou un président d’EPCI, cette jurisprudence sécurise juridiquement le refus d’opérations immobilières lorsque les capacités d’alimentation en eau sont saturées ou proches de l’être, sous réserve d’une motivation précise et documentée.

  1. Vers une “salubrité publique environnementale” en matière d’urbanisme

L’arrêt Commune de Fayence s’inscrit dans un mouvement plus large d’intégration des enjeux environnementaux et climatiques dans le contentieux de l’urbanisme. En reconnaissant que l’insuffisance de la ressource en eau relève de la salubrité publique, le Conseil d’État contribue à une extension fonctionnelle de cette notion vers une acception plus écologique et préventive.

La décision offre ainsi un outil juridique supplémentaire aux collectivités pour adapter leur urbanisation aux limites physiques des ressources, particulièrement dans les territoires soumis à un stress hydrique récurrent. Elle incite, en pratique, à articuler de façon plus étroite les politiques d’urbanisme, de gestion de l’eau et d’adaptation au changement climatique.

 

 

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